Consultations de pages de la semaine précédente

lundi 24 octobre 2011


Un vaste retour de l'ignorance, une régression politique et culturelle: la Tunisie est-elle aux mains des islamistes religieux? 

Je l'avais pressenti tous les ans lorsque je rentrais en Tunisie l'été. Lorsqu'on est absent du bled pendant longtemps on est plus à même de voir rapidement les changements dans les mentalités des gens : beaucoup se mettent à pratiquer très jeunes, à se voiler, on se baigne avec des tenues bizarres et les femmes se cachent les jambes et les tailles à la plage, les hommes portent des shorts longs arrivant jusqu'au genoux et les petits bikinis en perte de vue, voire peu fréquentés.. Ah il y a aussi la mode de cette année: des petits foulards de plages accrochés à la taille et cachant les hanches des filles et des femmes, sans parler de celles qui se baignent avec leur longues robes et voiles.. ces tenues sont tellement  fréquentes et on prend soin à choisir les tissus, les couleurs et pire certaines ont choisi le noir !! Les jeunes quant à eux affluent dans les mosquées et pensent y avoir retrouver la paix !! Le retour à ces pratiques qui en fait n'ont jamais été celles de nos parents et grand-parents est un signe flagrant de régression à la fois culturelle, civilisationnelle, politique et pire mentale. Les jeunes tunisiens sont-ils aussi naïfs, eux qui sont sortis dans la rue pour demander un état démocratique. Malheureusement, la démocratie n'est pas un système parfait, Aristote le rappelle dans Les Politiques, car cela donne au peuple le droit de faire de mauvais choix qu'il finit par regretter. Si le peuple tunisien a choisi des religieux en masse dans la Constitution c'est lui et uniquement lui qui en sera responsable, il paiera  pour ses mauvais choix et ne s'en prendra quà lui-même !! Voilà la démocratie à la tunisienne encore un long long long chemin devant nous ... apprenons à en maîtriser les abus et pensons à un avenir plus radieux.. Les religions ne sont que des objets et sources de conflits, rien ne changera jamais la mentalité des peuples guidés par une force transcendante. Ils sont victimes de leurs fatalismes, de la prédestination et de ces choses écrites considérée comme des doctrines que rien ni personne ne doit changer. 

mercredi 12 octobre 2011

En ces moments où la Palestine attend le verdict des NU, voici en exclusivité le discours du Président Habib Bourguiba prononcé à Jéricho en 1965. J'ai fait son analyse complète dans ma thèse de doctorat soutenue à l'Université Jean-Monnet de Saint Etienne le 20 octbre 2006. Un texte fondateur qui me rappelle aussi ce grand jour où j'ai présenté devant un jury de cinq personnes éminentes ma recherche. 
Je l'ai également revu et réécrit pour faire partie de mon dernier ouvrage paru chez Publibook. com et qui s'intitule: Le Pèlerinage oriental de Habib Bourguiba. Essai sur une philosophie politique. Février-avril 1965. Comme on a si souvent rappelé ce texte de Bourguiba, je me suis permise de le publier ici sur ma page. Non pas pour réveiller des haines ou des admirations, mais pour simplement le mettre sous l'oeil 
d'un lecteur lucide, intelligent analysant sans préjugés une pensée. 

Bourguiba s'est imprégné des Lumières: Kant, Hegel, J.-J. Rousseau, Montesquieu et Voltaire ont forgé sa pensée et sa politique, sans oublier Henri Bergson et sa philosophie privilégiant le côté spirituel chez l'homme, revalorisant l'intuition et la subjectivité inhérente à l'humanité dans un synchrétisme inégalable avec la Raison. Cette Raison, il l'a doit à Aristote, Al-Ghazâli, Ibn Rushd et tant d'autres philosophes du monde arabe et musulman.L'orateur juge sévèrement la démagogie de certains gouvernants. Pour lui, un pacte social et moral n'annihilant pas les doits des individus et conservant les biens civils doit être faits, ce qui va de pair avec la théorie politique de John Locke, philosophe des Lumières dont les idées sont au fondement du libéralisme politique pour qui, le pouvoir étatique doit assurer les droits naturels de l'homme et se montrer tolérant. La fonction de l'Etat et du chef de l'Etat est bien de respecter les droits des individus dans la société. Il doit donc se munir de raison et de lucidité, de tempérence et de justice lui permettant d'être à la fois à l'écoute des besoins des peuples et capable d'agir dans la tolérance. Grâce à cela, le discours de Jéricho est non seulement la trace et l'expression d'une pensée profondément humaniste, puisque Bourguiba appelle au dépassement des passions pour atteindre la raison, mais aussi d'une action politique et d'une grande réforme de l'Esprit. 

Très bonne lecture à tous.

"Chers frères,

Je ressens en ce moment un double sentiment d’émotion et de fierté. Ému, je le suis lorsque je pense à l’ampleur du désastre que nous avons subi en Palestine il y a dix sept ans. Mais en même temps, l’enthousiasme qui vous anime, la volonté farouche que je lis sur vos visages, la détermination à reconquérir vos droits, tout cela me réconforte et consolide mon optimisme.

Vous savez sans doute que le peuple tunisien alors qu’il menait encore une lutte âpre contre la forme la plus abjecte du colonialisme, a tenu à apporter sa contribution dans la guerre de Palestine. De tous les coins de Tunisie, jeunes et vieux sont accourus ici pour prendre effectivement part à la lutte dont l’enjeu était d’assurer l’intégrité d’une terre arabe et musulmane qu’ils considéraient comme leur seconde patrie. Le peuple tunisien a pu, au bout de vingt ans de lutte fonder un État solide et moderne sur une terre d’Islam débarrassée de toute co-souveraineté et de toute forme de domination politique ou militaire.

Mais nous pensons en Tunisie que notre action ne se circonscrit pas à l’intérieur de nos frontières, la Tunisie qui a combattu le colonialisme est consciente du rôle qu’elle doit assumer dans la libération de chaque pouce de la nation arabe demeuré encore sous l’emprise de l’étranger. J’avais déjà proclamé à la première Conférence au sommet arabe, que la Tunisie était décidée à mettre à la disposition de la cause palestinienne toutes ses potentialités. Je le proclame à nouveau aujourd’hui. Il est toutefois un point sur lequel je voudrais attirer votre attention : vous êtes les titulaires d’un droit violé ; à ce titre vous vous devez d’être à la première ligne du front ouvert pour la reconquête de la Palestine. Il est de mon devoir de vous entretenir en toute franchise d’un certain nombre de vérités que vous devez avoir présentes à l’esprit : D’abord votre rôle dans la lutte est primordial.

C’est ce que vous ne devez jamais perdre de vue. D’autre part, je voudrais dire, en ce moment où je m’adresse à tous les arabes partout où ils se trouvent que mon expérience personnelle, issue d’une dure et longue lutte, m’a appris que l’enthousiasme et les manifestations de patriotisme, ne suffisent point pour remporter la victoire. C’est une condition nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. En même temps que l’esprit de sacrifice et de mépris de la mort, il faut un commandement lucide, une tête pensante qui sache organiser la lutte, voir loin et prévoir l’avenir. Or la lutte rationnellement conçue implique une connaissance précise de la mentalité de l’adversaire, une appréciation objective du rapport des forces afin d’éviter l’aventure et les risques inutiles qui aggraveraient notre situation.

Il faut donc nous armer de lucidité, élaborer soigneusement nos plans et créer toutes les conditions de succès. Il faut préparer les hommes et les doter de moyens. Il faut renforcer notre potentiel de lutte par l’appui de l’opinion internationale. Éviter toute précipitation dictée par la passion, agir avec discernement, en vue d’arriver au but, voilà l’essentiel.

Si toutes ces conditions sont réunies, alors notre cause triomphera, d’autant plus sûrement que le Droit est de notre côté. C’est aux responsables qu’il revient de réunir les atouts du succès. Ces atouts nous manquaient lorsque nous avions, il y a quelques années engagé la bataille, cette fois, c’est sans répit qu’il faut travailler pour les réunir. Nous devons profiter des expériences passées et nous imposer un grand effort de réflexion. Déjà nous sommes sur la bonne voie ; mais la voie est longue. Pour aboutir au but, notre action exige loyauté, sérieux et courage moral.

Il est extrêmement facile de se livrer à des proclamations enflammées et grandiloquentes. Mais il est autrement difficile d’agir avec méthode et sérieux.
S’il apparaît que nos forces ne sont pas suffisantes pour anéantir ou le bouter hors de nos terres, nous n’avons aucun intérêt à l’ignorer, ou à le cacher. Il faut le proclamer haut. Force est alors de recourir, en même temps que se poursuit la lutte, aux moyens qui nous permettent de renforcer notre potentiel et de nous rapprocher de notre objectif par étapes successives. La guerre est faite de ruse et de finesse. L’art de la guerre s’appuie sur l’intelligence, il implique une stratégie, la mise en œuvre d’un processus méticuleusement réglé.
Peu importe que la voie menant à l’objectif soit directe ou tortueuse. Le responsable de la bataille doit s’assurer du meilleur itinéraire conduisant au but. Parfois, l’exigence de la lutte impose contours et détours.

Il est vrai que l’esprit s’accommode plus aisément de la ligne droite.

Mais lorsque le leader s’aperçoit que cette ligne ne mène pas au but, il doit prendre un détour. Les militants à courte vue pourraient penser qu’il a abandonné la poursuite de l’objectif. Il lui revient alors de leur expliquer que ce détour est destiné à éviter l’obstacle contourné , la marche reprend sur la grande route qui mène à la victoire.

Plus d’un leader arabe s’est trouvé dans l’impossibilité d’agir de cette manière. Pourtant, notre défaite et l’arrêt de nos troupes aux frontières de la Palestine prouvent la déficience de notre commandement. L’impuissance des armées à arracher la victoire malgré l’enthousiasme des combattants était due à ce que les conditions de succès n’était pas réunies.

Aujourd’hui , les chefs d’État travaillent sérieusement à mettre en place un commandement qui soit au niveau de ses responsabilités. Mais cela ne saurait suffire. Il est nécessaire que les peuples se gardent de gêner, par des débordements passionnels, l’action des dirigeants. Il ne faut pas que leur attachement obstiné à une certaine ligne de conduite mette les responsables politiques en difficulté pour l’exécution de leurs plans. Il ne faut pas qu’on accuse de défaitisme ou de compromission tel ou tel leader arabe parce qu’il a proposé des solutions partielles ou provisoires si celles-ci représentent des étapes nécessaires sur la voie de l’objectif.

Mais pour que le peuple ne gêne pas ou ne tasse pas échec à l’exécution des plans arrêtés, il est nécessaire – comme c’est le cas en Tunisie- qu’il ait confiance en ses dirigeants. Disposant ainsi de leur liberté d’action, ceux-ci sont en mesure d’avancer plus sûrement vers l’objectif. Il m’est souvent arrivé de me trouver dans l’obligation pour être maître de certaine situations, de recourir à la « politique des étapes ».

Lorsque certains militants faisaient preuve de réticences, je m’efforçais de les convaincre que ma méthode ne pouvait déboucher que sur la victoire surtout lorsque apparaissaient chez l’adversaire des signes de faiblesse. Il fallait alors ébranler ses positions de force, entamer son moral et en même temps renforcer d’avantage notre position.

Quant à la politique du « tout ou rien », elle nous a mené en Palestine à la défaite et nous a réduits à la triste situation où nous nous débattons aujourd’hui.

Nous n’aurions en aucune façon réussi en Tunisie si nous avions abandonné cette politique et accepté d’avancer pas à pas vers l’objectif. Á chaque pas, à chaque conquête par le peuple tunisien d’une nouvelle disposition stratégique, la France cédait une partie de ses privilèges ; pour elle, c’était un moindre mal. Elle s’imaginait pouvoir ensuite arrêter le processus. Mais à chaque point stratégique conquis augmentaient d’avantage nos moyens d’action. Le processus devenait ainsi absolument irréversible. Ainsi, pas à pas, la France s’est trouvée acculée à la dernière bataille, la bataille de Bizerte où elle ne pouvait que céder définitivement.

En Palestine, au contraire, les Arabes repoussèrent les solutions de compromis. Ils refusèrent le partage et les clauses du Livre blanc. Ils le regrettèrent ensuite.
Si nous avions, en Tunisie refusé en 1954, l’autonomie interne comme solution de compromis, le pays serait demeuré jusqu’à ce jour sous la domination française.

Il est donc essentiel que le commandement ait la liberté de manœuvre, qu’il soit capable de prendre telle ou telle initiative et qu’il ait des qualités de sincérité, de probité, de dévouement et de clairvoyance.

Je tenais à vous faire part de ces réflexions en tant que frère rompu depuis longtemps à la lutte anticolonialiste. J’ai inculqué les notions que je viens de vous exposer à vos frères tunisiens qui ont fini par adhérer à tous mes plans d’action.

Il leur est arrivé parfois d’en éprouver un certain malaise. Malgré cela, ils ont accepté de s’engager sous mon impulsion dans telle ou telle expérience car ils ont mis à l’épreuve mon dévouement et ma clairvoyance. Ils ont constaté les résultats. Aujourd’hui nous sommes libres et indépendants.

Voilà ce qu’un frère a voulu dire à l’occasion de cette visite. Voilà le conseil que je crois devoir vous donner ainsi qu’à tous les Arabes. Il est nécessaire d’appuyer les sentiments et l’enthousiasme par une vision claire des données du problème, pour que notre action soit pleinement efficace.

C’est cet homme en tout point désintéressé qui vous le dit, un homme dont vous ne pouvez contester la sincérité ni la profonde affection qu’il vous porte.
Nous arrivons au but. Nous n’aurons pas à passer dix-sept ou vingt années encore à nous lamenter vainement sur « la patrie perdue». Nous en tenir aux sentiments serait nous condamner à vivre des siècles dans le même état. Ce serait l’impasse.

Il faut que de la nation arabe, montent des voix pour parler franchement aux peuples, savoir que la lutte doit se poursuivre avec tout ce qu’elle comporte de détours, d’étapes, de ruses jusqu ‘au jour où nous aurons arraché, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures une victoire complète et définitive.

Je vous demande de méditer sur ces propos. Chacun de nous aura à rendre compte à Dieu et à sa propre conscience, de ses intentions et de ses actes. Mon vœu le plus cher est que les musulmans vivent dans une communion des cœurs encore plus étroite, que les dirigeants réalisent entre eux une meilleure compréhension et combattent tous les complexes de quelque sorte que ce soit : complexes d’infériorité vis-à-vis de l’ennemi dont on serait tenté de surestimer les forces, complexes de supériorité qui risqueraient de nous précipiter dans une catastrophe que nous pouvons sûrement éviter, grâce à un recours incessant à la raison et à l’intelligence".